Passe sanitaire et décision du Conseil Constitutionnnel du 5 août 2021
Le Conseil Constitutionnel a validé le 5 août 2021 partiellement la loi sur la gestion de la crise sanitaire instaurant l'obligation de vaccination des soignants et la présentation d'un passe sanitaire pour l'entrée des établissements recevant du public.
Voici le texte intégral de la décision.
Décision n° 2021-824 DC
du 5 août 2021
(Loi relative à la gestion de la crise sanitaire)
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, sous le n° 2021-824 DC, le 26 juillet 2021, par le Premier ministre.
Il a également été saisi, le même jour, par MM. Bruno RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Jean-Michel ARNAUD, Serge BABARY, Philippe BAS, Jérôme BASCHER, Arnaud de BELENET, Bruno BELIN, Mmes Nadine BELLUROT, Martine BERTHET, Annick BILLON, M. Jean-Baptiste BLANC, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, MM. François BONHOMME, Bernard BONNE, François BONNEAU, Philippe BONNECARRÈRE, Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP, M. Gilbert BOUCHET, Mme Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, M. Yves BOULOUX, Mme Toine BOURRAT, M. Jean-Marc BOYER, Mme Valérie BOYER, MM. Max BRISSON, François-Noël BUFFET, Laurent BURGOA, François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Mmes Marie-Christine CHAUVIN, Laure DARCOS, Annie DELMONT-KOROPOULIS, Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Brigitte DEVÉSA, Catherine DI FOLCO, Nassimah DINDAR, Sabine DREXLER, M. Alain DUFFOURG, Mmes Catherine DUMAS, Françoise DUMONT, M. Laurent DUPLOMB, Mmes Dominique ESTROSI SASSONE, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, M. Gilbert FAVREAU, Mme Françoise FÉRAT, MM. Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Mmes Laurence GARNIER, Françoise GATEL, M. Fabien GENET, Mme Frédérique GERBAUD, MM. Daniel GREMILLET, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, M. Daniel GUERET, Mme Jocelyne GUIDEZ, MM. Olivier HENNO, Loïc HERVÉ, Mme Christine HERZOG, MM. Alain HOUPERT, Jean-Raymond HUGONET, Mmes Annick JACQUEMET, Else JOSEPH, Muriel JOURDA, MM. Claude KERN, Christian KLINGER, Laurent LAFON, Marc LAMÉNIE, Mmes Sonia de la PROVÔTÉ, Florence LASSARADE, MM. Michel LAUGIER, Daniel LAURENT, Mme Christine LAVARDE, MM. Antoine LEFÈVRE, Ronan LE GLEUT, Henri LEROY, Stéphane LE
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RUDULIER, Mme Valérie LÉTARD, M. Pierre-Antoine LEVI, Mmes Anne-Catherine LOISIER, Viviane MALET, MM. Hervé MARSEILLE, Pascal MARTIN, Hervé MAUREY, Mme Marie MERCIER, M. Sébastien MEURANT, Mme Brigitte MICOULEAU, M. Jean-Marie MIZZON, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, M. Philippe MOUILLER, Mme Laurence MULLER-BRONN, M. Philippe NACHBAR, Mme Sylviane NOËL, MM. Claude NOUGEIN, Philippe PAUL, Cyril PELLEVAT, Philippe PEMEZEC, Cédric PERRIN, Stéphane PIEDNOIR, Mme Kristina PLUCHET, M. Rémy POINTEREAU, Mmes Frédérique PUISSAT, Isabelle RAIMOND-PAVERO, MM. Jean-François RAPIN, Damien REGNARD, Olivier RIETMANN, Bruno ROJOUAN, Hugues SAURY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Mme Elsa SCHALCK, M. Jean SOL, Mme Nadia SOLLOGOUB, M. Philippe TABAROT, Mmes Dominique VÉRIEN, Sylvie VERMEILLET, MM. Cédric VIAL et Jean-Pierre VOGEL, sénateurs.
Il a en outre été saisi, le même jour, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Christian HUTIN, Mme Chantal JOURDAN, M. Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, M. Jérôme LAMBERT, Mme Josette MANIN, M. Philippe NAILLET, Mmes Lamia EL AARAJE, Christine PIRES BEAUNE, Claudia ROUAUX, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mme Michèle VICTORY, M. Gérard LESEUL, Mmes Isabelle SANTIAGO, Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Mme Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, MM. Moetaï BROTHERSON, Jean-Philippe NILOR, Gabriel SERVILLE, Mme Karine LEBON, MM. Jean-Félix ACQUAVIVA, Michel CASTELLANI, Jean-Michel CLÉMENT, Paul-André COLOMBANI, Charles de COURSON, Mme Frédérique DUMAS, MM. François-Michel LAMBERT, Jean LASSALLE, Paul MOLAC, Bertrand PANCHER, Mme Jennifer de TEMMERMAN, MM. Sébastien NADOT, Aurélien TACHÉ, Guillaume CHICHE, Mmes Emilie CARIOU et Delphine BAGARRY, députés.
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Il a enfin été saisi, le même jour, par M. Patrick KANNER, Mme Eliane ASSASSI, M. Guillaume GONTARD, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Joël BIGOT, Mmes Florence BLATRIX CONTAT, Nicole BONNEFOY, MM. Denis BOUAD, Hussein BOURGI, Mme Isabelle BRIQUET, M. Rémi CARDON, Mmes Marie-Arlette CARLOTTI, Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, MM. Thierry COZIC, Michel DAGBERT, Mme Marie-Pierre de la GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Mme Frédérique ESPAGNAC, MM. Rémi FÉRAUD, Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, M. Hervé GILLÉ, Mme Laurence HARRIBEY, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Olivier JACQUIN, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, M. Éric KERROUCHE, Mme Annie LE HOUEROU, M. Jean-Yves LECONTE, Mme Claudine LEPAGE, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Jacques-Bernard MAGNER, Didier MARIE, Serge MÉRILLOU, Mme Michelle MEUNIER, M. Jean-Jacques MICHAU, Mme Marie-Pierre MONIER, MM. Franck MONTAUGÉ, Sébastien PLA, Mmes Émilienne POUMIROL, Angèle PRÉVILLE, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mme Sylvie ROBERT, M. Gilbert ROGER, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Lucien STANZIONE, Jean-Pierre SUEUR, Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Jean-Marc TODESCHINI, Mickaël VALLET, André VALLINI, Mme Sabine VAN HEGHE, MM. Yannick VAUGRENARD, Éric BOCQUET, Mmes Cécile CUKIERMAN, Céline BRULIN, Cathy APOURCEAU-POLY, Michelle GRÉAUME, Laurence COHEN, MM. Fabien GAY, Gérard LAHELLEC, Pierre OUZOULIAS, Pascal SAVOLDELLI, Pierre LAURENT, Jérémy BACCHI, Mmes Marie-Claude VARAILLAS et Marie-Noëlle LIENEMANN, sénateurs.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le code de la santé publique ;
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– le code du travail ;
– la loi n° 2020‑546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;
– la loi n° 2021‑689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
– le décret du 14 juin 2021 portant convocation du Parlement en session extraordinaire ;
– le décret n° 2021-931 du 13 juillet 2021 déclarant l’état d’urgence sanitaire dans certains territoires de la République ;
– le décret du 19 juillet 2021 complétant le décret du 14 juin 2021 portant convocation du Parlement en session extraordinaire ;
– le décret n° 2021-990 du 28 juillet 2021 déclarant l’état d’urgence sanitaire dans certains territoires de la République ;
– les décisions du Conseil constitutionnel nos 2020-800 DC du 11 mai 2020, 2020-808 DC du 13 novembre 2020 et 2021-819 DC du 31 mai 2021 ;
– l’avis du Conseil d’État du 19 juillet 2021 ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 29 juillet 2021 ;
Au vu des observations en réplique présentées par les sénateurs auteurs de la quatrième saisine, enregistrées le 2 août 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le Premier ministre, les sénateurs et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la gestion de la crise sanitaire. Le Premier ministre demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de ses articles 1er, 9 et 12, sans soulever aucun grief à leur encontre. Les députés et les sénateurs contestent la conformité à la Constitution de certaines dispositions de l’article 1er. Les
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députés et les sénateurs auteurs de la quatrième saisine contestent la conformité à la Constitution de son article 2. Les députés et les sénateurs auteurs de la deuxième saisine contestent également la conformité à la Constitution de son article 9. Les sénateurs auteurs de la deuxième saisine critiquent, en outre, la conformité à la Constitution de certaines dispositions de son article 7. Les députés contestent par ailleurs la procédure d’adoption de la loi ainsi que son article 8. Enfin, les sénateurs auteurs de la quatrième saisine contestent la procédure d’adoption de son article 1er et certaines dispositions de son article 14.
– Sur la procédure :
. En ce qui concerne la procédure d’adoption de l’ensemble de la loi :
2. Les députés requérants soutiennent que les conditions d’adoption de la loi déférée auraient méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire et du droit d’amendement garanti par l’article 44 de la Constitution. À ce titre, ils font d’abord valoir que l’étude d’impact jointe au projet de loi ne répondrait pas aux exigences de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 mentionnée ci-dessus, en raison de ses lacunes concernant l’évolution de la situation sanitaire dans certains départements et collectivités d’outre-mer. Ils relèvent ensuite que ce projet de loi n’était pas au nombre des textes dont l’examen avait été prévu par le décret du Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire et font valoir que le décret ajoutant ce texte à l’ordre du jour de la session extraordinaire n’a été publié au Journal officiel de la République française que le jour même de l’examen du texte par la commission des lois de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie. Ils critiquent enfin les délais impartis aux députés puis aux sénateurs pour examiner le texte et l’amender.
3. En premier lieu, aux termes des troisième et quatrième alinéas de l’article 39 de la Constitution : « La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. - Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours ». Aux termes du premier alinéa de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 : « Les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact. Les documents rendant
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compte de cette étude d’impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d’État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent ». Selon le premier alinéa de l’article 9 de la même loi organique, la Conférence des présidents de l’assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d’un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles relatives aux études d’impact sont méconnues.
4. Le projet de loi a été déposé le 19 juillet 2021 sur le bureau de l’Assemblée nationale. La Conférence des présidents n’a été saisie d’aucune demande tendant à constater que les règles relatives aux études d’impact étaient méconnues. Dès lors, le grief tiré de ce que l’étude d’impact jointe au projet de loi n’aurait pas respecté l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 ne peut qu’être écarté.
5. En deuxième lieu, selon le premier alinéa de l’article 29 de la Constitution, le Parlement est réuni en session extraordinaire à la demande du Premier ministre « sur un ordre du jour déterminé ». L’article 30 de la Constitution prévoit que « les sessions extraordinaires sont ouvertes et closes par décret du Président de la République ». Il en résulte que, si le Parlement ainsi réuni en session extraordinaire ne peut délibérer que sur les questions inscrites à l’ordre du jour par le Président de la République, ce dernier peut modifier, à la demande du Premier ministre, un ordre du jour qu’il avait préalablement déterminé.
6. Par le décret du 19 juillet 2021 mentionné ci-dessus, le Président de la République a complété l’ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement initialement convoquée par le décret du 14 juin 2021 mentionné ci-dessus, afin d’y ajouter notamment l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 29 de la Constitution doit donc être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale ». Aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
8. Selon le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement. Ce
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droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ».
9. Le projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale le 19 juillet 2021. En première lecture, le délai de dépôt des amendements a été fixé, en commission, au 20 juillet à l’ouverture de la réunion puis, en séance publique, au 21 juillet à l’ouverture de la discussion générale. Après l’adoption du texte par l’Assemblée nationale le 23 juillet au matin, le délai de dépôt des amendements devant le Sénat a été fixé, en commission, le même jour que sa réunion et, en séance publique, au 24 juillet, à l’ouverture de la discussion générale. Après que la commission mixte paritaire est parvenue à un accord le 25 juillet, le texte a été définitivement adopté le même jour.
10. En dépit de leur particulière brièveté, les délais retenus à l’Assemblée nationale puis au Sénat pour le dépôt en commission et en séance publique des amendements au projet de loi n’ont pas fait obstacle à l’exercice effectif par les membres du Parlement de leur droit d’amendement, ni privé d’effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
11. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du droit d’amendement et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire doivent être écartés.
. En ce qui concerne la procédure d’adoption du treizième alinéa de l’article 1er :
12. Les sénateurs auteurs de la deuxième saisine soutiennent que le treizième alinéa de l’article 1er aurait été adopté selon une procédure contraire à l’article 39 de la Constitution, au motif que ces dispositions, figurant dans le projet de loi délibéré en conseil des ministres, posaient une question qui n’aurait pas été préalablement soumise pour avis au Conseil d’État.
13. Aux termes de la première phrase du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution : « Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’État et déposés sur le bureau de l’une des deux assemblées ». Si le conseil des ministres délibère sur les projets de loi et s’il lui est possible d’en modifier le contenu, c’est, comme l’a voulu le constituant, à la condition d’être éclairé par l’avis du Conseil d’État. Par suite, l’ensemble des questions posées par le texte délibéré en conseil des
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ministres doivent avoir été soumises au Conseil d’État lors de sa consultation.
14. Le projet de loi délibéré le 19 juillet 2021 en conseil des ministres modifiait l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 afin de permettre au Premier ministre, par décret, de subordonner à certaines conditions l’accès des personnes aux « grands magasins et centres commerciaux, au-delà d’un seuil défini par décret et permettant de garantir l’accès des personnes aux biens et produits de première nécessité sur le territoire concerné ».
15. Si le projet de loi soumis au Conseil d’État visait à cet égard l’ensemble des « grands établissements et centres commerciaux » et ne comportait pas la référence à « un seuil défini par décret », il ressort de l’avis rendu par ce dernier que les questions du champ d’application de la mesure et de l’accès des personnes aux biens et produits de première nécessité ont été évoquées lors de sa consultation.
16. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 39 de la Constitution doit être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 1er :
. En ce qui concerne la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans certains territoires d’outre-mer :
18. Le paragraphe I de l’article 1er de la loi proroge jusqu’au 30 septembre 2021 l’état d’urgence sanitaire déclaré, d’une part, sur les territoires de La Réunion et de la Martinique par le décret du 13 juillet 2021 mentionné ci-dessus et, d’autre part, sur les territoires de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin par le décret du 28 juillet 2021 mentionné ci-dessus.
19. Selon les députés requérants, en prorogeant ce régime sur ces territoires, ces dispositions permettraient la mise en oeuvre de mesures qui porteraient, au regard de la situation sanitaire de ces territoires, une atteinte disproportionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis de leurs résidents.
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20. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous … la protection de la santé ». Il en découle un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
21. La Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.
22. En premier lieu, l’état d’urgence sanitaire vise à permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures afin de faire face à une crise sanitaire grave. Le législateur a estimé, au regard des données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire des territoires de La Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, que l’épidémie de covid-19 connaît une progression contribuant, compte tenu des capacités hospitalières de ces territoires et de la couverture vaccinale de leur population, à un état de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. Il a par ailleurs considéré, au regard de la dynamique de l’épidémie, que cet état devrait perdurer au moins durant les deux mois à venir. Cette appréciation est corroborée par l’avis du 16 juillet 2021 du comité de scientifiques prévu par l’article L. 3131-19 du code de la santé publique. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l’appréciation par le législateur de l’existence d’une catastrophe sanitaire et du risque qu’elle persiste dans les deux prochains mois, dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente de ces territoires.
23. En deuxième lieu, en vertu du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, les mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ne peuvent en tout état de cause être prises qu’aux seules fins de garantir la santé publique. Selon le paragraphe III du même article, elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s’assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent.
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24. En dernier lieu, quand la situation sanitaire le permet, il doit être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi le prorogeant.
25. Il résulte de ce qui précède que le législateur a pu, sans méconnaître aucune exigence constitutionnelle, proroger jusqu’au 30 septembre 2021 l’état d’urgence sanitaire dans les territoires de La Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Par conséquent, les paragraphes III et IV de l’article 3 de la loi du 31 mai 2021 sont conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne la prorogation du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire :
26. Le paragraphe I de l’article 1er de la loi proroge jusqu’au 15 novembre 2021 le régime de gestion de la sortie de crise sanitaire prévu par l’article 1er de la loi du 31 mai 2021.
27. Selon les députés requérants, en prévoyant, malgré l’absence d’éléments objectifs permettant d’anticiper la situation sanitaire de la France jusqu’à cette date, une prorogation de son application pour une durée de quatre mois, sans qu’il soit nécessaire que le Parlement intervienne à nouveau dans ce délai, le législateur n’aurait pas opéré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et les droits et libertés susceptibles d’être affectés.
28. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.
29. En premier lieu, en prévoyant la prorogation du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Il a estimé, au regard de la dynamique de l’épidémie, du rythme prévisible de la campagne de vaccination et de l’apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux, qu’un risque important de propagation de l’épidémie persisterait jusqu’au 15 novembre 2021. Cette appréciation est corroborée par les avis des 6 et 16 juillet 2021 du comité de scientifiques prévu par l’article L. 3131-19 du code de la santé publique. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l’appréciation par le législateur de ce
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risque, dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente.
30. En second lieu, en vertu du premier alinéa des paragraphes I et II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, les mesures susceptibles d’être prononcées dans le cadre du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire ne peuvent être prises que dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Selon le paragraphe IV de ce même article, elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s’assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent.
31. Il résulte de ce qui précède que le législateur a pu, sans méconnaître aucune exigence constitutionnelle, proroger le régime de gestion de la sortie de crise sanitaire jusqu’au 15 novembre 2021. Par conséquent, les mots « 15 novembre 2021 » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 sont conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne les dispositions subordonnant l’accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d’un « passe sanitaire » :
32. Le paragraphe I de l’article 1er modifie le A du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 afin notamment d’élargir les cas dans lesquels le Premier ministre peut subordonner l’accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d’un « passe sanitaire » qui peut revêtir la forme soit d’un résultat d’examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination.
33. En premier lieu, les sénateurs et députés requérants estiment que le champ d’application de ces dispositions serait trop étendu. En particulier, les sénateurs auteurs de la deuxième saisine considèrent que le fait de subordonner l’accès aux grands magasins et centres commerciaux à la présentation d’un « passe sanitaire » n’aurait pas d’intérêt dans la lutte contre l’épidémie. Les députés font valoir que, en s’appliquant à toutes les activités de loisirs et de restauration, sans distinction selon leurs conditions
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d’exercice ainsi qu’à toute personne de plus de douze ans, ces dispositions emporteraient des effets disproportionnés au regard de l’objectif poursuivi. Les sénateurs auteurs de la quatrième saisine critiquent pour le même motif l’application de telles mesures aux transports publics. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté d’aller et de venir et, pour les députés requérants, une méconnaissance du droit au respect de la vie privée.
34. En second lieu, les sénateurs et députés requérants font valoir que ces dispositions méconnaîtraient, à plusieurs titres, le principe d’égalité devant la loi. Les sénateurs auteurs de la quatrième saisine font valoir que, en s’appliquant aux centres commerciaux, ces dispositions créeraient une différence de traitement injustifiée entre les commerces et leurs employés selon que leur activité s’exerce au sein ou en dehors de tels centres commerciaux. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre les centres commerciaux de grande taille et les autres commerces. Les députés soutiennent également que ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les personnes selon qu’elles auront pu ou non bénéficier de l’administration d’un vaccin à la date de l’entrée en vigueur de ces mesures. Ils estiment également qu’elles créeraient une différence de traitement injustifiée à l’égard des Français qui, résidant à l’étranger, ont été vaccinés avec un vaccin non reconnu par les autorités françaises.
– S’agissant de la méconnaissance de la liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit d’expression collective des idées et des opinions :
35. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, ainsi que le droit d’expression collective des idées et des opinions résultant de l’article 11 de cette déclaration.
36. Les dispositions contestées prévoient que le Premier ministre peut subordonner l’accès du public à certains lieux, établissements, services ou événements où se déroulent certaines activités, à la présentation soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19. Elles prévoient également que, à compter du
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30 août 2021, une telle mesure peut être rendue applicable aux personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou événements.
37. Ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l’accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d’aller et de venir et, en ce qu’elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d’expression collective des idées et des opinions.
38. Toutefois, en premier lieu, le législateur a estimé que, en l’état des connaissances scientifiques dont il disposait, les risques de circulation du virus de la covid-19 sont fortement réduits entre des personnes vaccinées, rétablies ou venant de réaliser un test de dépistage dont le résultat est négatif. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de covid-19. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
39. En deuxième lieu, ces mesures ne peuvent être prononcées que pour la période, allant de l’entrée en vigueur de la loi déférée au 15 novembre 2021, période durant laquelle le législateur a estimé qu’un risque important de propagation de l’épidémie existait en raison de l’apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux. Pour les motifs mentionnés au paragraphe 29, cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente.
40. En troisième lieu, les mesures contestées peuvent s’appliquer dans certains lieux, établissements, services ou événements où sont exercées des activités de loisirs, de restauration commerciale ou de débit de boissons. Elles peuvent également s’appliquer à des foires, séminaires et salons professionnels, à des services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, aux déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux ainsi qu’à certains grands magasins et centres commerciaux.
41. D’une part, en prévoyant l’application de ces mesures aux foires, séminaires et salons professionnels, aux déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux ainsi qu’aux grands magasins et centres commerciaux, le législateur a réservé leur application à des activités qui mettent en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et présentent ainsi un risque accru de transmission du virus. De même, en prévoyant l’application de ces mêmes mesures aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux ainsi qu’aux activités de loisirs, de restauration ou de débit de boissons à
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l’exception de la restauration collective, de la vente à emporter de plats préparés et de la restauration professionnelle routière et ferroviaire, le législateur a circonscrit leur application à des lieux dans lesquels l’activité exercée présente, par sa nature même, un risque particulier de diffusion du virus.
42. D’autre part, le législateur a entouré de plusieurs garanties l’application de ces mesures. S’agissant de leur application aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, le législateur a réservé l’exigence de présentation d’un « passe sanitaire » aux seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements, ainsi qu’à celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. Ainsi, cette mesure, qui s’applique sous réserve des cas d’urgence, n’a pas pour effet de limiter l’accès aux soins. S’agissant de leur application aux grands magasins et centres commerciaux, il a prévu qu’elles devaient garantir l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu’aux moyens de transport accessibles dans l’enceinte de ces magasins et centres. Il a prévu également qu’elles ne pouvaient être décidées qu’au-delà d’un certain seuil défini par décret et par une décision motivée du représentant de l’État dans le département lorsque les caractéristiques de ces lieux et la gravité des risques de contamination le justifient. S’agissant des déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, le législateur a exclu que ces mesures s’appliquent « en cas d’urgence faisant obstacle à l’obtention du justificatif requis ». En outre, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 31 mai 2021 mentionnée ci-dessus, la notion « d’activité de loisirs » exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle.
43. Enfin, ainsi qu’il a été dit précédemment, les mesures réglementaires prises sur le fondement des dispositions contestées ne peuvent, sous le contrôle du juge, l’être que dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
44. En quatrième lieu, les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être satisfaites par la présentation aussi bien d’un justificatif de statut vaccinal, du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination. Ainsi, ces dispositions n’instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. En outre, le législateur a prévu la détermination
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par un décret, pris après avis de la Haute autorité de santé, des cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et la délivrance aux personnes concernées d’un document pouvant être présenté dans les lieux, services ou établissements où sera exigée la présentation d’un « passe sanitaire ».
45. En cinquième lieu, le contrôle de la détention d’un des documents nécessaires pour accéder à un lieu, établissement, service ou événements ne peut être réalisé que par les forces de l’ordre ou par les exploitants de ces lieux, établissements, services ou événements. En outre, la présentation de ces documents est réalisée sous une forme ne permettant pas « d’en connaître la nature » et ne s’accompagne d’une présentation de documents d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre.
46. En dernier lieu, d’une part, ces mesures ne sont rendues applicables au public et, à compter du 30 août 2021, aux personnes qui interviennent dans les lieux, établissements, services ou événements que lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l’exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue.
47. D’autre part, le législateur a pu estimer, en l’état des connaissances scientifiques dont il disposait, que les mineurs de plus de douze ans sont, comme les majeurs, vecteurs de la diffusion du virus et prévoir ainsi que l’obligation de présentation d’un « passe sanitaire » leur serait applicable à compter du 30 septembre 2021.
48. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.
– S’agissant du grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité :
49. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
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50. En premier lieu, les grands magasins et centres commerciaux mettent en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et pour une durée prolongée. Ils présentent ainsi un risque important de propagation du virus. Les commerces situés au sein de ces établissements sont donc dans une situation différente de ceux situés en dehors de ces établissements. Dès lors, en prévoyant que les mesures contestées peuvent s’appliquer aux seuls grands magasins et centres commerciaux, ces dispositions instaurent une différence de traitement qui repose sur une différence de situation et est en rapport direct avec l’objet de la loi.
51. En deuxième lieu, en prévoyant que le Premier ministre peut subordonner à la présentation de l’un des trois documents sanitaires énumérés par les dispositions contestées l’accès à des grands magasins et centres commerciaux, au-delà d’un seuil défini par décret, et sur décision motivée prise par le représentant de l’État dans le département, sous le contrôle du juge, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient, les dispositions contestées ne créent en elles-mêmes aucune différence de traitement entre ces établissements.
52. En troisième lieu, les dispositions contestées, qui n’obligent pas à la présentation d’un justificatif de statut vaccinal mais prévoient que le « passe sanitaire » peut également consister en un certificat de rétablissement ou un résultat d’examen de dépistage négatif, n’instaurent aucune différence de traitement à l’égard des personnes qui n’auraient pas pu bénéficier de l’administration d’un vaccin avant l’entrée en vigueur de la loi ou auraient reçu un vaccin non homologué par l’Agence européenne du médicament.
53. En quatrième lieu, les dispositions contestées ne sont relatives ni aux conditions d’obtention des documents permettant l’accès aux lieux, établissements ou événements ni au caractère payant ou non des actes donnant lieu à délivrance de ces documents.
54. En dernier lieu, le contrôle de la détention d’un des documents nécessaires pour accéder aux lieux, établissements, services ou événements ne peut être réalisé que par les forces de l’ordre ou les exploitants de ces lieux, établissements, services ou événements. Sa mise en oeuvre ne saurait s’opérer qu’en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.
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55. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté.
56. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la même réserve, les dispositions du 2° du A et le B du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne les obligations de contrôle imposées aux exploitants et professionnels :
57. Le paragraphe I de l’article 1er modifie le D du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 afin notamment de prévoir que, sous peine de sanction, l’exploitant d’un lieu ou d’un établissement ou le professionnel responsable d’un événement est tenu de contrôler la détention d’un « passe sanitaire » par les personnes qui souhaitent y accéder.
58. Les sénateurs et députés requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient la liberté d’entreprendre au motif qu’elles font peser sur les acteurs économiques l’obligation de contrôler l’accès aux lieux qu’ils exploitent, ce qui serait de nature à nécessiter la mobilisation de moyens humains et matériels importants.
59. Les sénateurs auteurs de la deuxième saisine reprochent à ces dispositions de prévoir des peines disproportionnées au regard des manquements susceptibles d’être reprochés à ces professionnels.
– S’agissant du grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre :
60. Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.
61. En premier lieu, en autorisant le Premier ministre à subordonner l’accès de certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d’un « passe sanitaire », le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 et à assurer un contrôle
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effectif de leur respect. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
62. En deuxième lieu, les dispositions contestées se limitent à imposer à l’exploitant d’un lieu ou d’un établissement ou au professionnel responsable d’un événement de contrôler la détention par ses clients d’un « passe sanitaire », sous format papier ou numérique. S’il peut en résulter une charge supplémentaire pour les exploitants, la vérification de la situation de chaque client peut être mise en oeuvre en un temps bref.
63. Dès lors, en imposant une telle obligation, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
– S’agissant du grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines :
64. Selon l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
65. L’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.
66. En application du troisième alinéa du D du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, l’exploitant d’un lieu ou d’un établissement ou le professionnel responsable d’un événement qui ne contrôle pas la détention d’un « passe sanitaire » par les personnes qui souhaitent y accéder est mis en demeure par l’autorité administrative, sauf en cas d’urgence ou d’événement ponctuel, de se conformer à cette obligation. Cette mise en demeure indique les manquements constatés et fixe un délai, qui ne peut être supérieur à vingt-quatre heures ouvrées, pour que l’exploitant ou le professionnel s’y conforme. Si la mise en demeure est infructueuse, l’autorité administrative peut alors ordonner la fermeture administrative du lieu, établissement ou événement pour une durée maximale de sept jours. Toutefois, la mesure de fermeture administrative est levée si l’exploitant ou le professionnel apporte la preuve du respect de ses obligations.
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67. Les dispositions contestées prévoient que, lorsqu’un manquement, ayant fait l’objet d’une mise en demeure, est constaté à plus de trois reprises au cours d’une période de quarante-cinq jours, l’exploitant ou le professionnel peut être condamné à un an d’emprisonnement et à 9 000 euros d’amende.
68. Au regard de la nature du comportement réprimé, les peines instituées ne sont pas manifestement disproportionnées.
69. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit être écarté.
70. Par conséquent, la dernière phrase du troisième alinéa du D du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne les obligations imposées au titre du « passe sanitaire » à certains salariés et agents publics :
71. Le paragraphe I de l’article 1er réécrit le C du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 afin de déterminer les conséquences sur la relation de travail du défaut de présentation d’un « passe sanitaire » par un salarié ou un agent public tenu à cette obligation pour accéder au lieu où il exerce ses fonctions.
72. Les députés requérants reprochent au législateur d’avoir prévu que la méconnaissance de cette obligation entraîne la suspension de la relation de travail, ce qui priverait le salarié ou l’agent public de tout revenu, sans limitation de durée. Ils reprochent également à ces dispositions de prévoir un nouveau motif de rupture anticipée applicable uniquement aux contrats à durée déterminée et aux contrats de mission. Ces dispositions méconnaîtraient ainsi le droit à l’emploi, le principe d’égalité devant la loi et le principe d’égale admissibilité aux emplois publics.
73. Les sénateurs auteurs de la quatrième saisine estiment, quant à eux, que ces dispositions, en ne prévoyant notamment pas de compensation à l’interruption de la rémunération résultant de la suspension du contrat de travail, seraient entachées d’incompétence négative. Elles porteraient en outre une atteinte excessive et injustifiée aux cinquième, dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
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74. En premier lieu, le troisième alinéa du 1 du C prévoit que le contrat à durée déterminée ou de mission d’un salarié qui ne présente pas les justificatif, certificat ou résultat requis pour l’obtention du « passe sanitaire », peut être rompu avant son terme, à l’initiative de l’employeur, dans les conditions prévues à l’article L. 1232-1 du code du travail.
75. Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l’obligation de présentation des justificatif, certificat ou résultat précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d’un salarié en contrat à durée indéterminée.
76. Les salariés en contrat à durée indéterminée et ceux en contrat à durée déterminée ou de mission sont dans des situations différentes.
77. Toutefois, en instaurant une obligation de présentation d’un « passe sanitaire » pour les salariés travaillant dans certains lieux et établissements, le législateur a entendu limiter la propagation de l’épidémie de covid-19. Or, les salariés, qu’ils soient sous contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée ou de mission, sont tous exposés au même risque de contamination ou de transmission du virus.
78. Dès lors, en prévoyant que le défaut de présentation d’un « passe sanitaire » constitue une cause de rupture des seuls contrats à durée déterminée ou de mission, le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leur contrat de travail qui est sans lien avec l’objectif poursuivi.
79. Par conséquent, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, le dix-neuvième alinéa du b du 1° du paragraphe I de l’article 1er, qui méconnaît le principe d’égalité devant la loi, est contraire à la Constitution.
80. En second lieu, aux termes du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Aux termes du onzième alinéa du même Préambule, la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
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81. Les deux premiers alinéas du 1 du C et le 2 de ce même C prévoient que lorsqu’un salarié ou un agent public, qui y est tenu, ne présente pas de « passe sanitaire » et qu’il ne choisit pas d’utiliser, avec l’accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, ce dernier lui notifie par tout moyen, le jour même, selon les cas, la suspension de son contrat de travail ou de ses fonctions.
82. Comme il a été dit au paragraphe 77, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu limiter la propagation de l’épidémie de covid-19. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
83. D’une part, l’obligation de présenter un « passe sanitaire » n’est imposée que pour la période comprise entre le 30 août et le 15 novembre 2021 et pour les seuls salariés et agents publics intervenant dans les lieux, établissements, services ou événements dont l’accès est soumis à cette obligation, lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l’exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue.
84. D’autre part, la suspension du contrat de travail ne peut intervenir que si le salarié ou l’agent public ne présente ni le résultat d’un examen de dépistage virologique négatif, ni un justificatif de statut vaccinal, ni un certificat de rétablissement. Si cette suspension s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, elle prend fin dès que le salarié ou l’agent public produit les justificatifs requis.
85. Enfin, lorsque la suspension du contrat de travail se prolonge au-delà d’une durée équivalente à trois jours travaillés, l’employeur doit convoquer le salarié ou l’agent public à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, sur un autre poste non soumis à cette obligation. S’il s’agit d’un salarié, cet autre poste doit être proposé au sein de l’entreprise.
86. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doivent être écartés.
87. Il résulte de ce qui précède que les deux premiers alinéas du 1 et le 2 du C du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, qui ne sont pas non plus entachés d’incompétence négative et qui ne méconnaissent
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ni le principe d’égalité ni le principe d’égal accès aux emplois publics, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
– Sur l’article 2 :
88. L’article 2 modifie l’article L. 824‑9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile réprimant le fait, pour un étranger, de se soustraire à l’exécution d’une mesure d’éloignement.
89. Les députés requérants soutiennent que cet article n’a pas sa place dans la loi déférée au motif qu’il a été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution.
90. Les sénateurs auteurs de la deuxième saisine soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le droit à la santé et le principe de dignité de la personne humaine. Selon eux, en prévoyant une peine d’emprisonnement en cas de refus par un étranger de se soumettre aux « obligations sanitaires nécessaires à l’exécution d’office de la mesure », ces dispositions, dont ils critiquent l’imprécision, pourraient imposer une obligation de vaccination, sans prendre en compte d’éventuelles contre-indications, ou une obligation de réaliser certains tests de dépistage, même douloureux ou intrusifs. Les députés requérants reprochent également à ces dispositions de porter atteinte à l’inviolabilité du corps humain et d’instaurer une peine disproportionnée, en méconnaissance de l’article 8 de la Déclaration de 1789.
. En ce qui concerne la place de l’article 2 dans la loi déférée :
91. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions introduites en méconnaissance de cette règle de procédure.
92. La loi déférée a pour origine le projet de loi déposé le 19 juillet 2021 sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie. Ce projet de loi comportait onze articles répartis en deux chapitres. Son premier chapitre contenait des dispositions générales destinées à lutter contre l’épidémie de covid-19 qui prorogeaient le régime de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans certains territoires d’outre-mer ainsi que le régime de gestion de la sortie de crise sanitaire, modifiaient les mesures réglementaires
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pouvant être prises dans le cadre de ce dernier régime, ainsi que les dispositions relatives à l’isolement des personnes contaminées et adaptaient en conséquence certains systèmes d’information. Le second chapitre contenait des dispositions instaurant une obligation vaccinale contre la covid-19 pour certains professionnels.
93. L’article 2 modifie l’article L. 824‑9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de réprimer le refus, par un étranger, de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement dont il fait l’objet.
94. Introduites en première lecture, ces dispositions ne sont pas dépourvues de lien, au moins indirect, avec l’article 1er du projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, qui modifiait certaines obligations imposées aux personnes souhaitant se déplacer en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution. Le grief tiré de la méconnaissance du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution doit donc être écarté.
. En ce qui concerne le fond :
95. En premier lieu, les dispositions contestées punissent de trois ans d’emprisonnement le refus par un étranger de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement dont il fait l’objet. L’expression « obligations sanitaires », éclairée par les travaux parlementaires, doit s’entendre des tests de dépistage de la covid-19. Il appartient par ailleurs au juge pénal, saisi de poursuites ordonnées sur le fondement de ces dispositions, de vérifier la réalité du refus opposé par l’étranger poursuivi et l’intention de l’intéressé de se soustraire à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement. Sous cette réserve, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité des peines.
96. En second lieu, le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle.
97. L’obligation de se soumettre à un test de dépistage de la covid-19 en application des dispositions contestées ne comporte aucun procédé attentatoire à l’intégrité physique et à la dignité des personnes. En conséquence, manquent en fait les griefs tirés de l’atteinte au principe du
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respect de la dignité de la personne humaine et à l’inviolabilité du corps humain.
98. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 95, le troisième alinéa de l’article L. 824‑9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
– Sur l’article 8 :
99. L’article 8 modifie le paragraphe I de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus pour allonger la durée de conservation maximale de certaines données relatives à la santé traitées et partagées au sein des systèmes d’information mis en oeuvre aux fins de lutter contre l’épidémie de covid‑19.
100. Les députés requérants estiment que ces dispositions porteraient atteinte au droit au respect de la vie privée, en ce qu’elles autorisent un délai excessif de conservation des données de santé de personnes ayant contracté le virus de la covid-19.
101. La liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.
102. L’article 11 de la loi du 11 mai 2020 prévoit que, par dérogation à l’exigence fixée à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19, les données à caractère personnel relatives à la santé des personnes atteintes par ce virus peuvent être traitées et partagées dans le cadre de systèmes d’information.
103. Les dispositions contestées allongent de trois à six mois après leur collecte la durée de conservation maximale des données de santé relatives aux personnes ayant fait l’objet d’un examen de dépistage virologique ou sérologique concluant à une contamination, afin de leur permettre de disposer d’une preuve virologique d’infection récente.
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104. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 instituent ces systèmes d’information, d’une part, par la décision du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus, pour les motifs énoncés à ses paragraphes 63 à 75 et sous les réserves énoncées à ses paragraphes 67, 73 et 74, et d’autre part, par la décision du 13 novembre 2020 mentionnée ci-dessus, pour les motifs énoncés à ses paragraphes 21 et 22.
105. En second lieu, les systèmes d’information autorisés par ce même article 11 ne peuvent être mis en oeuvre au-delà du temps strictement nécessaire à la lutte contre la propagation de l’épidémie de covid-19 ou, au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2021.
106. Dès lors, sous les mêmes réserves que celles énoncées aux paragraphes 73 et 74 de la décision du 11 mai 2020, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée.
107. Par conséquent, sous ces réserves, la deuxième phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
– Sur l’article 9 :
108. L’article 9 crée une mesure de placement en isolement applicable de plein droit aux personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19.
109. Les sénateurs auteurs du premier recours demandent au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité de ces dispositions à la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privée.
110. Selon les députés requérants, en prévoyant que les personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19 ont « l’obligation de se placer » à l’isolement et qu’elles peuvent faire l’objet de contrôles en cas de « suspicion de non-respect de la mesure », ces dispositions méconnaîtraient tout d’abord, par leur ambiguïté, l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et de clarté de la loi. Ils soutiennent, pour le même motif, que le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence. Enfin, ils soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration de
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1789 en raison de l’impossibilité matérielle pour les juges des libertés et de la détention d’examiner les nombreux recours dont ils pourraient être saisis.
111. Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
112. Les dispositions contestées prévoient que, jusqu’au 15 novembre 2021 et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19, toute personne faisant l’objet d’un test positif à la covid-19 a l’obligation de se placer à l’isolement pour une durée non renouvelable de dix jours. Dans ce cadre, il est fait interdiction à la personne de sortir de son lieu d’hébergement, sous peine de sanction pénale.
113. Ce placement en isolement s’appliquant sauf entre 10 heures et 12 heures, en cas d’urgence ou pour des déplacements strictement indispensables, il constitue une privation de liberté.
114. En adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
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